Cabinet Latimier Berthelot

Avocat droit du travail à Marseille

– sur le principe de la réparation intégrale du préjudice et l’inapplicabilité du plafond de l’article L1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité

En vertu du principe de légalité, chaque norme juridique doit se conformer à l’ensemble des règles en vigueur ayant une force supérieure dans la hiérarchie des normes, ou du moins être compatible avec ces normes.

Or, l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 indique que :

« Les Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois [...] »

Si le Conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité des lois à la Constitution (contrôle de constitutionnalité) le contrôle de la conformité des lois par rapport aux conventions internationales (contrôle de conventionnalité) appartient en revanche aux juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de cassation et du Conseil d’État. (Décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975 recueil p.19, Décision n°86-216 DC du 3 septembre 1986, recueil p.135).

La Cour de cassation, puis le Conseil d’État, se sont d’ailleurs reconnus compétents pour procéder à ce contrôle de conventionnalité (Chambre mixte 24 mai 1975, Société des Cafés Jacques Favre, n°73-13556 ; Conseil d’État, Assemblée Plénière, 20 octobre 1989, Nicolo, n°108243)

Ce contrôle peut donc conduire, lors de l’examen d’un litige, à écarter la loi française pour faire prévaloir la convention internationale dans la résolution du litige.

Tel a été le cas devant le juge prud’homal, à l’égard du Contrat Nouvelles Embauches jugé contraire à la Convention 158 de l’OIT (CPH Longjumeau,28 avril 2006 De Wee c/ Philippe Samzun ; n°06/00316 ; CA Paris 18ème E, 6 juillet 2007, n°S06/06992)

La Cour de cassation a établi que la convention n°158 était « directement applicable » et a souligné « la nécessité de garantir qu’il soit donné pleinement effet aux dispositions de la convention » (Cass. Soc. 1er juillet 2008, n°07-44124).

L’article 10 de la convention n°158 de l’OIT sur le licenciement ratifiée par la France le 16 mars 1989, dont le Conseil d’État a confirmé l’effet direct (CE Sect., 19 octobre 2005, CGT et a n° 283471), stipule que si les tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme approprié ».

L’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999, qui est également d’effet direct (CE 10 février 2014, M. Fischer, n°359892), a repris ce même principe dans les termes suivants :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître (…)

« b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. »

Le Comité européen des droits sociaux (CEDS), organe en charge de l’interprétation de la Charte s’est prononcé sur le sens devant être donné à l’indemnité adéquate et à la réparation appropriée dans sa décision du comité du 8 septembre 2016 « Finish Sociéty of Social Rights c Finlande » (N°106/2014 &45)

Le Comité énonce que :

« Les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient :

« – le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ;

« – la possibilité de réintégration ;

« – des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime. »

Tout plafonnement conduisant à ce que les indemnités octroyées ne soient pas en rapport avec le préjudice subi et/ou ne soient pas suffisamment dissuasives est donc, en principe contraire à la Charte.

La Charte européenne et l’interprétation qu’en fait le Comité Européen des droits sociaux sont d’application directe en droit interne français, et doivent conduire le Conseil à faire prévaloir la nécessité d’une indemnisation intégrale des préjudices subis par le salarié et à écarter le barème

La Charte sociale européenne est un traité du Conseil de l’Europe adoptée à Turin en 1961 qui garantit les droits sociaux et économiques fondamentaux. Elle est le pendant social de la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui se réfère aux droits civils et politiques.

Elle garantit un large éventail des Droits de l’Homme liés à l’emploi, au logement, à la santé, à l’éducation, à la protection sociale et aux services sociaux.

La Charte est dès lors considérée comme la Constitution sociale de l’Europe.

Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a été créé dès l’entrée en vigueur de la Charte. Il exerce depuis 1995 une activité jurisprudentielle ou quasi jurisprudentielle, en tranchant les réclamations collectives introduites par les organisations nationales ou internationales ainsi que par les organisations non gouvernementales nationales ou internationales pour apprécier la conformité des législations réglementations et pratiques nationales aux exigences de la Charte sociale européenne.

Le caractère contraignant de la Charte sociale ne fait donc plus de doute et les principes qu’elle contient sont directement invocables devant le juge français.

Ainsi, que le conseil d’État a déjà reconnu qu’il s’agissait d’un traité international dans son arrêt du 7 juillet 2000 (Fédération nationale des associations tutélaires, n°213461)

La Cour de cassation en a reconnu l’applicabilité directe par un arrêt du 14 mai 2010 (Soc. 14 mai 2010, n°09-6042-) et se réfère notamment aux articles 5 et 6 de la Charte dans de nombreuses décisions sur la liberté syndicale et le droit à la négociation collective (Soc. 9 nov. 2010, ns 09-42064, 09-42065, 09-42066, 09-42067, 09-42068, 09-42069 ; 10 nov 2010, n° 09-72865 ; Soc. 1er décembre 2010, n° 10-60117, Soc. 8 déc. 2010 n°10-60223). La haute juridiction s’y référait encore directement dans un arrêt 15 novembre 2017 (n°16-24884)

S’agissant de l’article 24, le Conseil d’État a déjà jugé que ses dispositions sont directement invocables devant lui puisque son « objet n’est pas de régir exclusivement les relations entre États » et qu’elles « ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets, à l’égard des particuliers, peuvent être invoqués utilement (CE 10 février 2014, n°358992 Fischer – voir notamment l’analyse du Professeur Mouly, Droit social 2017 p. 745).

Quant au juge judiciaire, et notamment le juge prud’homal, il est toujours possible de soulever devant lui par voie d’exception la non-conformité d’une règle nationale au regard d’un texte international, la Cour de cassation soulignant à cet effet sa volonté de se conformer à l’interprétation donnée à ce texte international par l’organe international chargé d’en contrôler l’application (Cass. Soc. 1er juillet 2008, n°07-44124)

Or, dans son arrêt du 8 septembre 2016, le Comité européen (CEDS) énonce que :

« Tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte ».

Le comité en a jugé ainsi à l’égard de la loi finlandaise, qui se bornait à fixer un plancher de 3 mois et un plafond de 24 mois, en invitant le juge à fixer entre ces 2 limites légales l’indemnisation en tenant compte de l’ancienneté, de l’âge du salarié, de ses perspectives de retrouver un emploi équivalent, de la durée de son inactivité, et de la situation générale du salarié et de l’employeur.

Le CEDS a estimé cette législation contraire à la Charte en soulignant que dans certains cas de licenciement abusif, l’octroi d’une indemnisation plafonnée à hauteur de 24 mois peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subis :

« (…) que dans certains cas de licenciement abusif, l’octroi d’une indemnisation à hauteur de 24 mois prévue par la loi relative au contrat de travail peut ne pas suffire pour compenser les pertes et le préjudice subis. (…) Le Comité considère que le plafonnement de l’indemnisation prévue par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi. En outre, il ne peut conclure que des voies de droit alternatives sont prévues pour constituer un recours dans de telles situations. » (CEDS 8 septembre 2016 &45)

Il en est à fortiori de même à l’égard des barèmes fixés par le nouvel article L 1235-3 du Code du travail qui prétendent imposer un plafonnement bien inférieur.

D’ailleurs le barème en vigueur depuis le 23 septembre 2017 ne permet assurément pas au Juge de moduler l’appréciation des préjudices du salarié en fonction des différents paramètres de sa situation lorsqu’il existe si peu de marge laissée entre le plancher et le plafond (pour une ancienneté de 2 ans, le plancher est de 3 mois et le plafond de 3,5 mois et pour une ancienneté de 3 ans, le plancher est de 3 mois et le plafond de 4 …)

C’est encore plus criant lorsque le salarié licencié pour motif économique doit encore recevoir, dans la limite de ce plafond l’indemnisation de l’ensemble de ses préjudices, au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse mais aussi du non-respect de la priorité de réembauchage ou des critères d’ordre de licenciement comme l’impose désormais la même réforme.

Or en droit français il n’existe aucune voie de droit alternative pour que le salarié obtienne une indemnisation complémentaire dans le cadre de son licenciement.

Depuis la loi du 13 juillet 1973, l’action permettant au salarié d’obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est exclusive de toute autre action sur le terrain de la responsabilité civile.

Et la Cour de cassation tout en visant expressément le principe de réparation intégrale dans sa décision publiée le 14 septembre 2017, faisait grief à une Cour d’appel d’avoir condamné l’employeur à payer à chaque salarié une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement (Cass. Soc. 14 septembre 2017, n°16-11563)

Le juge prud’homal français a donc l’obligation de fixer une seule et unique indemnisation de tous les préjudices nés du licenciement et l’Ordonnance du 22 septembre 2017 a enfermé cette indemnisation dans le barème plafonné.

Plus encore que le système finlandais, le mécanisme du barème français ne permet donc pas de s’assurer que le salarié pourra recevoir l’indemnisation intégrale des préjudices subis.

Qu’il existe des exceptions au plafonnement, énumérées à l’article L 1235-3-1, notamment en cas de discrimination ou de harcèlement, ne doit en rien faire douter de cette réalité puisque le principe de réparation intégrale doit présenter un caractère général.

En outre les plafonds fixés aussi bas pour les anciennetés faibles ou modérées ne correspondent plus à des « indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur » et manquent au second objectif mis en évidence par le CEDS.

C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’objectif avoué de la réforme : sécuriser les employeurs par la prévisibilité d’un plafond maximum de leur condamnation, quitte à amoindrir très sensiblement les indemnisations qui ne sont pourtant pas consécutives à la réalisation d’un risque, mais viennent sanctionner une faute.

En réduisant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par des plafonds trop bas, c’est bien la sanction de la violation de la loi qui perd son effet dissuasif à l’égard des employeurs qui peuvent « budgéter » leurs fautes.

Ce barème viole donc à double égard l’article 24 de la Charte européenne des droits sociaux.

Il en décourage en outre les salariés d’agir en justice pour valoir leurs droits au regard d’espoir d’indemnisation dérisoires, alors qu’en application de la convention 158 de l’OIT, le droit de n’être licencié que pour un motif valable est un droit fondamental (article 4) et que sa violation exige d’habiliter le Juge « à ordonner le versement d’une indemnité adéquate » à défaut de réintégration possible (article 10).

Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, le prix de la violation de la loi, formule du professeur Pascal Lokiec, est fixé si bas pour les salariés de faible ou moyenne ancienneté qu’il constitue une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs que constituent des licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Ce barème peut être incitatif à prononcer des licenciements injustifiés, s’ils ont été provisionnés, ce qui est manifestement à l’opposé de l’objectif de dissuasion mis en avant par le CEDS.

Enfin, le droit à un procès équitable, protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme, n’est plus garanti lorsque le pouvoir du juge se retrouve ainsi drastiquement limité. (Voir notamment Marie-Laure Morin, Droit Ouvrier 2017)

Depuis la modification de l’article L1235-3 du Code du travail, plusieurs décisions ont été rendus sur le territoire.

En effet, faute d'avoir été débattu par les parlementaires, puisque adopté par ordonnance, le barème institué est discuté devant les tribunaux. Alors que les premiers jugements portant sur des ruptures prononcées à partir du 24 septembre 2017 commencent à être rendus, certains conseils de prud'hommes écartent l'application du barème invoquant, au soutien de ces décisions, le principe de la réparation intégrale du préjudice en matière civile, l'inconventionnalité du barème à l'égard de l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) ou encore de l'article 24 de la charte sociale européenne. (Voir supra)

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a répondu à deux demandes d'avis formées par les conseils de prud'hommes de Louviers et de Toulouse concluant à la Conventionnalité du barème.

Or de première part, il est important de noter que la Cour de cassation connaît l'effet sociologique de ses avis. Ils tentent de contenir - par anticipation - une divergence des jurisprudences locales. L'avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande ; c'est d'autant plus vrai à l'égard de celles qui n'ont rien demandé…

Et de seconde part, la formation pour avis affirme opérer un contrôle exclusivement abstrait. On ne peut pour autant en conclure que le barème ne pourrait, en aucun cas, faire l'objet d'un contrôle concret par d'autres voies. Ce que l'on sait, c'est que cette formation ne s'engage que sur un type de contrôle. Celui-ci est plus limité, constitutif sans doute d'une étape dans le syllogisme des contrôles complets de conventionnalité.

Ainsi si l’avis de la Cour de cassation daté du 17 juillet 2019 conclu en la conventionnalité abstraite du barème, il est demandé au Conseil de Céans d’en contrôler concrètement la conventionnalité, comme cela a été fait postérieurement à cet avis par les Cour d’appel de REIMS et de PARIS.

La Cour d’appel de PARIS a en effet rendu un arrêt très attendu le 19 septembre 2019 dans lequel elle se prononce sur le licenciement d’un salarié qui ne disposait d’une ancienneté d’une année.

Pour une telle ancienneté, l’article L. 1235-3 du Code du travail prévoit que, si le licenciement survient sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut obtenir une indemnité comprise entre :

  • 15 jours de salaire bruts et 2 mois de salaire bruts si l’entreprise emploie moins de 11 salariés ;
  • 1 mois de salaire brut et 2 mois de salaire bruts si l’entreprise emploie 11 salariés ou plus.

La Cour d’appel de Paris énonce :

« La réparation prévue à hauteur de deux mois par le barème constitue une réparation du préjudice adéquate et appropriée à la situation d’espèce. »

Cependant la Cour précise - et c’est important - que les articles 10 de la Convention n° 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne révisée s’imposent aux juridictions françaises.

En d’autres termes, ces textes bénéficient d’un effet direct en droit interne, et peut donc être appliqué, ce qui signifie que le barème doit être écarté dès lors que la situation de l’espèce l’exige.

En d’autres termes, la Cour d’appel de PARIS fait application du barème en l’espèce tout en précisant que l’appréciation concrète de la situation ne justifie pas une indemnisation plus importante.

Ainsi énonce-t-elle que l’application de l’article 10 de la Convention OIT et l’article 24 de la Charte ne doit pas être écartée, contrairement à l’avis rendu par la Cour de cassation le 17 juillet 2019.

La Cour d’appel de Paris, tout en jugeant ces textes internationaux d’effet direct, énonce :

« Qu’en l’espèce il n’y a pas lieu de déroger au barème réglementaire et de considérer ledit barème contraire aux conventions précitées. »

En conséquence, par une interprétation a contrario de cet arrêt, il faut comprendre que si la situation du salarié avait été différente, le barème Macron aurait pu être écarté sur le fondement du droit international…

Dans le même sens, et toujours postérieurement à l’avis rendu par la Cour de cassation, la Cour d’appel de Reims avait été explicite sur le sujet dans les motifs de son arrêt :

  • La Cour avait en effet énoncé que l’article L. 1235-3 du Code du travail, prévoyant des plafonds d’indemnisation faibles pour les salariés de peu d’ancienneté, et une progression des plafonds non linéaire, rendait inadéquate le plafonnement de l’indemnisation, voire même était à l’origine de la mise en place d’une différence de traitement en raison de l’ancienneté ;
  • En outre elle précisait que, enserré entre un plancher et un plafond, le juge prud’homal ne disposait pas de toute la latitude pour individualiser le préjudice de perte d’emploi et sanctionner l’employeur ;
  • Elle en déduisait donc que le dispositif est de nature à affecter les conditions d’exercice des droits concernés par ces textes.

(Cour d'appel REIMS, 25 septembre 2019)

En conclusion, les Cours d’appel de Reims et de Paris invitent à une appréciation au cas par cas (in concreto) et non sans tenir compte de la réalité (in abstracto).

Ainsi la question est-elle d’écarter les barèmes dit MACRON pour y préférer une appréciation in concreto de la situation du salarié, afin de réparer tout le préjudice subi, et rien que le préjudice subi par le licenciement irrégulier.

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